L’annonce récente de Google concernant l’introduction de son chatbot d’intelligence artificielle (IA) Gemini aux enfants de moins de 13 ans a suscité un débat considérable et soulevé des questions cruciales concernant la sécurité en ligne et la protection de l’enfance à l’ère numérique. Cette initiative, qui devrait être lancée initialement aux États-Unis et au Canada, puis en Australie, rendra le chatbot accessible via les comptes Family Link de Google. Bien que cette approche offre aux parents un certain degré de contrôle, elle souligne également le défi permanent de la protection des enfants dans un paysage technologique en constante évolution.
La décision d’introduire des chatbots d’IA aux jeunes enfants présente à la fois des opportunités et des risques. D’une part, ces outils peuvent offrir un soutien éducatif, favoriser la créativité et offrir des expériences d’apprentissage engageantes. D’autre part, ils soulèvent des inquiétudes quant à l’exposition à des contenus inappropriés, au potentiel de manipulation et au développement des compétences de pensée critique.
Fonctionnement du chatbot Gemini IA
Les comptes Family Link de Google sont conçus pour permettre aux parents de surveiller les activités en ligne de leurs enfants. Les parents peuvent gérer l’accès à des contenus et applications spécifiques, tels que YouTube, en définissant des limites et en surveillant l’utilisation. Pour créer un compte pour un enfant, les parents doivent fournir des informations personnelles, notamment le nom et la date de naissance de l’enfant. Bien que cette collecte de données puisse soulever des préoccupations en matière de confidentialité, Google assure que les données des enfants ne seront pas utilisées pour l’entraînement du système d’IA.
Par défaut, l’accès au chatbot sera activé, ce qui obligera les parents à désactiver activement la fonctionnalité pour restreindre l’accès de leur enfant. Les enfants peuvent ensuite utiliser le chatbot pour générer des réponses textuelles ou créer des images. Cependant, Google reconnaît le potentiel d’erreurs et d’inexactitudes, soulignant la nécessité d’une évaluation attentive du contenu généré. Le phénomène d’"hallucination" de l’IA, où les chatbots inventent des informations, nécessite que les enfants vérifient les faits auprès de sources fiables, en particulier lorsqu’ils utilisent l’outil pour l’aide aux devoirs.
La nature des informations fournies
Les moteurs de recherche traditionnels comme Google extraient des documents existants que les utilisateurs peuvent consulter et analyser. Les étudiants peuvent accéder à des articles de presse, à des revues universitaires et à d’autres sources pour recueillir des informations pour leurs travaux. Les outils d’IA générative, cependant, fonctionnent différemment. Ils analysent les schémas du matériel source pour créer de nouvelles réponses textuelles ou des images basées sur les invites de l’utilisateur. Par exemple, un enfant pourrait demander au système de "dessiner un chat", et l’IA analyserait les données pour identifier les caractéristiques déterminantes (par exemple, les moustaches, les oreilles pointues, une longue queue) et générer une image incorporant ces caractéristiques.
La distinction entre les informations extraites via une recherche Google et le contenu généré par un outil d’IA peut être difficile à saisir pour les jeunes enfants. Des études ont montré que même les adultes peuvent être trompés par le contenu généré par l’IA. Même des professionnels hautement qualifiés, tels que des avocats, ont été induits en erreur en utilisant de faux contenus produits par ChatGPT et d’autres chatbots. Cela souligne l’importance d’éduquer les enfants sur la nature du contenu généré par l’IA et sur la nécessité d’une évaluation critique.
Assurer l’adaptation à l’âge
Google affirme que Gemini intégrera des "sauvegardes intégrées conçues pour empêcher la génération de contenu inapproprié ou dangereux". Ces sauvegardes visent à protéger les enfants contre l’exposition à des contenus nuisibles.
Cependant, ces sauvegardes peuvent involontairement créer de nouveaux problèmes. Par exemple, restreindre certains mots (par exemple, "seins") pour empêcher l’accès à des contenus sexuels inappropriés pourrait également bloquer l’accès à des informations adaptées à l’âge sur les changements corporels pendant la puberté. Cela met en évidence l’équilibre délicat entre la protection des enfants et la fourniture d’informations exactes et pertinentes.
De nombreux enfants sont très à l’aise avec la technologie et capables de naviguer dans les applications et de contourner les contrôles du système. Les parents ne peuvent pas se fier uniquement aux sauvegardes intégrées. Ils doivent activement examiner le contenu généré, aider leurs enfants à comprendre comment fonctionne le système et évaluer l’exactitude et la pertinence des informations fournies.
Risques potentiels des chatbots d’IA pour les enfants
L’eSafety Commission a publié un avis de sécurité en ligne décrivant les risques potentiels des chatbots d’IA, en particulier ceux conçus pour simuler des relations personnelles, pour les jeunes enfants. L’avis met en garde contre le fait que les compagnons d’IA peuvent "partager des contenus nuisibles, déformer la réalité et donner des conseils dangereux". Les jeunes enfants, qui développent encore leur pensée critique et leurs compétences de vie, sont particulièrement vulnérables à être induits en erreur ou manipulés par des programmes informatiques.
La recherche a exploré les façons dont les chatbots d’IA, tels que ChatGPT, Replika et Tessa, imitent les interactions humaines en adhérant aux normes et conventions sociales. Ces systèmes sont conçus pour gagner notre confiance en imitant les règles non écrites qui régissent le comportement social. En imitant ces politesses sociales, ces systèmes sont conçus pour gagner notre confiance.
Ces interactions semblables à celles des humains peuvent être déroutantes et potentiellement risquées pour les jeunes enfants. Ils peuvent croire que le chatbot est une personne réelle et faire confiance au contenu qu’il fournit, même s’il est inexact ou fabriqué. Cela peut entraver le développement des compétences de pensée critique et rendre les enfants plus susceptibles d’être manipulés.
Protéger les enfants contre les dommages
Le déploiement du chatbot d’IA Gemini coïncide avec l’interdiction imminente par l’Australie des comptes de médias sociaux pour les enfants de moins de 16 ans, prévue pour décembre de cette année. Bien que cette interdiction vise à protéger les enfants contre les dommages en ligne, les chatbots d’IA générative démontrent que les risques de l’engagement en ligne s’étendent au-delà des médias sociaux. Les enfants et les parents doivent être éduqués sur l’utilisation appropriée et sûre de tous les types d’outils numériques.
Étant donné que le chatbot d’IA Gemini n’est pas classé comme un outil de médias sociaux, il ne sera pas soumis à l’interdiction de l’Australie. Cela signifie que les parents australiens continueront de faire face au défi de garder une longueur d’avance sur les technologies émergentes et de comprendre les risques potentiels auxquels leurs enfants sont confrontés. Ils doivent également reconnaître les limites de l’interdiction des médias sociaux en matière de protection des enfants contre les dommages.
Cette situation souligne la nécessité urgente de revoir le projet de loi australien sur le devoir de diligence numérique. Alors que l’Union européenne et le Royaume-Uni ont mis en œuvre une législation sur le devoir de diligence numérique en 2023, la version australienne est en suspens depuis novembre 2024. Cette législation tiendrait les entreprises technologiques responsables de la lutte contre les contenus nuisibles à leur source, protégeant ainsi tous les utilisateurs.
L’introduction de chatbots d’IA aux jeunes enfants présente un défi complexe qui nécessite une approche multidimensionnelle. Les parents, les éducateurs, les décideurs et les entreprises technologiques doivent travailler ensemble pour s’assurer que les enfants peuvent bénéficier des opportunités offertes par ces outils tout en restant en sécurité et protégés contre les dommages. Cela comprend l’éducation des enfants sur la nature de l’IA, la promotion des compétences de pensée critique et la mise en œuvre de sauvegardes robustes pour empêcher l’exposition à des contenus inappropriés. Il est crucial de promouvoir une éducation numérique complète et d’encourager les discussions ouvertes entre les parents et les enfants sur les risques et les avantages de l’IA. De plus, les entreprises technologiques doivent s’engager à améliorer continuellement leurs protocoles de sécurité et à collaborer avec les experts en protection de l’enfance pour créer des environnements en ligne plus sûrs pour les enfants. La collaboration internationale et le partage des meilleures pratiques sont également essentiels pour relever les défis transfrontaliers posés par l’IA et garantir la protection des enfants à l’échelle mondiale. Enfin, la recherche continue sur l’impact de l’IA sur le développement de l’enfant est nécessaire pour éclairer les politiques et les pratiques et garantir que l’IA est utilisée de manière à soutenir le bien-être et l’épanouissement des enfants. En adoptant une approche globale et proactive, nous pouvons exploiter le potentiel de l’IA pour améliorer l’éducation et la créativité des enfants tout en atténuant les risques potentiels et en protégeant leur sécurité et leur bien-être.
Considérations éthiques
Au-delà des aspects pratiques de la sécurité et de la protection, l’introduction de l’IA dans la vie des jeunes enfants soulève des questions éthiques importantes. L’une des principales préoccupations est l’impact potentiel sur le développement social et émotionnel des enfants. L’interaction avec des chatbots d’IA peut-elle remplacer ou altérer les relations humaines authentiques ? Les enfants peuvent-ils développer une dépendance excessive à ces outils, ce qui entraînerait un isolement social ou des difficultés à interagir avec les autres ? Ces questions nécessitent une réflexion approfondie et une recherche empirique pour comprendre pleinement les conséquences à long terme.
Une autre préoccupation éthique est la question de la transparence et de la responsabilité. Comment pouvons-nous garantir que les algorithmes d’IA utilisés dans les chatbots sont exempts de biais et de discrimination ? Comment pouvons-nous responsabiliser les entreprises technologiques pour les dommages causés par leurs produits d’IA ? Ces questions sont particulièrement importantes lorsque l’IA est utilisée pour interagir avec des enfants, qui sont plus vulnérables aux influences subtiles et aux manipulations. Il est essentiel d’établir des normes éthiques claires et des mécanismes de surveillance pour garantir que l’IA est utilisée de manière responsable et équitable.
De plus, la question de la confidentialité des données est particulièrement sensible lorsqu’il s’agit d’enfants. Les parents doivent être pleinement informés de la manière dont les données de leurs enfants sont collectées, utilisées et partagées. Ils doivent également avoir la possibilité de contrôler l’utilisation de ces données et de les supprimer si nécessaire. Les entreprises technologiques doivent adopter des politiques de confidentialité transparentes et respectueuses de la vie privée des enfants. Il est également important de sensibiliser les enfants à leurs droits en matière de confidentialité et de les encourager à prendre des décisions éclairées concernant le partage de leurs informations personnelles en ligne.
Recommandations pour les parents et les éducateurs
Face à ces défis et opportunités, il est essentiel que les parents et les éducateurs adoptent une approche proactive et éclairée. Voici quelques recommandations clés :
- S’informer sur l’IA : Les parents et les éducateurs doivent s’efforcer de comprendre les principes de base de l’IA et la manière dont elle fonctionne. Cela leur permettra de mieux évaluer les risques et les avantages potentiels de l’utilisation de l’IA par les enfants.
- Surveiller l’utilisation de l’IA par les enfants : Les parents doivent surveiller de près la manière dont leurs enfants utilisent les chatbots d’IA et autres outils d’IA. Ils doivent être attentifs aux signes de dépendance, d’isolement social ou d’exposition à des contenus inappropriés.
- Encourager la pensée critique : Les parents et les éducateurs doivent encourager les enfants à développer des compétences de pensée critique et à remettre en question les informations qu’ils rencontrent en ligne. Ils doivent les aider à distinguer les faits de la fiction et à évaluer la crédibilité des sources.
- Promouvoir les relations humaines : Il est important de s’assurer que les enfants ont suffisamment d’occasions d’interagir avec d’autres personnes dans des contextes sociaux réels. Les activités familiales, les sports, les clubs et autres activités parascolaires peuvent aider à favoriser les relations sociales et à prévenir l’isolement.
- Discuter des risques et des avantages de l’IA : Les parents et les éducateurs doivent avoir des conversations ouvertes et honnêtes avec les enfants sur les risques et les avantages de l’IA. Ils doivent les encourager à poser des questions et à exprimer leurs préoccupations.
- Fixer des limites claires : Il est important de fixer deslimites claires quant à la durée et à la fréquence d’utilisation des chatbots d’IA et autres outils numériques. Les parents doivent également établir des règles concernant les types de contenus que les enfants sont autorisés à consulter en ligne.
- Collaborer avec les écoles et les communautés : Les parents doivent travailler en étroite collaboration avec les écoles et les communautés pour mettre en œuvre des programmes d’éducation numérique et promouvoir la sécurité en ligne. Ils doivent également soutenir les initiatives visant à réglementer l’utilisation de l’IA et à protéger les enfants contre les dommages.
En suivant ces recommandations, les parents et les éducateurs peuvent aider à garantir que les enfants bénéficient des opportunités offertes par l’IA tout en restant en sécurité et protégés contre les risques potentiels. L’avenir de l’IA dépend de notre capacité à l’utiliser de manière responsable et éthique, en particulier lorsqu’il s’agit de nos enfants.